Dans une étude récente, les chercheurs Inserm Benoit Chassaing (Institut Cochin, unité Inserm 1016 / CNRS / Université de Paris) et Emilie Viennois (Centre de Recherche sur l’Inflammation, unité Inserm 1149 / Université de Paris) ont élucidé les mécanismes par lesquels certains agents émulsifiants alimentaires peuvent avoir un impact négatif sur le microbiote intestinal et favorisent l’inflammation intestinale, mettant ainsi en évidence des évolutions possibles dans la prise en charge de l’inflammation intestinale chronique. Leurs résultats ont été publiés dans le journal Cell Reports.
Le contexte
Les émulsifiants alimentaires sont des composés ajoutés dans de nombreux aliments transformés afin d’en améliorer la texture et d’en prolonger la durée de conservation. Ils ont été récemment identifiés comme altérant négativement le microbiote intestinal, pouvant conduire au développement d’inflammations intestinales.
Il a également été observé que les souris colonisées par un microbiote de faible complexité étaient protégées contre les effets négatifs de certains émulsifiants. Ces observations antérieures ont conduit les chercheurs à émettre l’hypothèse que les émulsifiants pourraient stimuler certaines bactéries spécifiques, tels que certains pathobiontes, des bactéries ayant un potentiel pathogène mais inoffensives dans des conditions “normales”. Ces dernières, en présence d’agents émulsifiants, seraient-elles capables de favoriser le développement d’inflammation intestinale chronique et de maladies associées, telles que le cancer du côlon ?
Les résultats
Afin de tester cette hypothèse, les chercheurs ont colonisé deux modèles murins différents, l’un axénique (sans microbiote), l’autre ASF (avec un microbiote minimal comprenant seulement 8 espèces) par une souche de la bactérie Escherichia coli adhérente et invasive (AIEC), associées à la maladie de Crohn. Ils ont ensuite administré un émulsifiant, soit de la carboxyméthylcellulose (CMC – E466) ou du polysorbate 80 (P80 – E433).
Alors que la seule consommation d’agents émulsifiants était inoffensive chez les souris axéniques ou ASF, une colonisation par les bactéries AIEC combinée à ces agents entraînait le développement d’une inflammation intestinale chronique et de dérégulations métaboliques. De plus, la colonisation par les bactéries AIEC entraîne une inflammation intestinale sévère et une exacerbation du cancer colorectal en réponse à la consommation d’émulsifiants dans des modèles animaux de ces deux maladies.
Des approches in vitro ont démontré que l’exposition aux émulsifiants augmentait la motilité des bactéries AIEC et leur capacité à adhérer aux cellules épithéliales intestinales. Une analyse du transcriptome (tous les ARNm) des bactéries AIEC traitées par les émulsifiants a révélé que ces composés induisaient l’expression de groupes de gènes impliqués dans la virulence de cette bactérie et dans sa propension à induire l’inflammation. Nous avons ainsi pu identifier un mécanisme par lequel les émulsifiants alimentaires pouvaient favoriser l’inflammation intestinale chronique chez les personnes abritant certains pathobiontes dans leur tractus digestif.
Les perspectives
Cette étude démontre que certains émulsifiants alimentaires stimulent la virulence de certains pathobiontes, permettant ainsi d’identifier un mécanisme par lequel ces composés peuvent provoquer une inflammation chez les individus porteurs de ces bactéries. Ces résultats révèlent également que les deux agents émulsifiants testés n’agissent pas de la même manière sur ces pathobiontes, suggérant qu’ils pourraient avoir un effet synergique néfaste lorsqu’ils sont combinés, comme c’est souvent le cas dans les aliments transformés.
Les AIEC sont probablement un exemple parmi d’autres de pathobiontes pouvant médier les effets nocifs des émulsifiants, et l’identification d’autres bactéries sensibles à ces additifs est maintenant requise.
Néanmoins, ces résultats suggèrent qu’une intervention alimentaire basée sur le microbiote pourrait être un moyen efficace pour la gestion des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Ainsi, des personnes porteuses de microbiotes spécifiques et susceptibles bénéficieraient grandement de recommandations alimentaires ciblées proposant, par exemple, l’éviction de ces agents émulsifiants.
Ce travail a été soutenu par la Kenneth Rainin Foundation. De plus, Emilie Viennois est récipiendaire d’un prix « Career Development » de la Crohn’s and Colitis Foundation (CCF) et d’une bourse Marie Sklodowska-Curie de la Commission Européenne. Benoit Chassaing. est soutenu par un “ERC Starting Grant” du Conseil européen de la Recherche, une Chaire d’Excellence de Université de Paris et un prix « Career Development » de la CCF.
http://www.idf.inserm.fr/actualites/emulsifiants-alimentaires-et-microbiote-des-liens-dans-l-inflammation-intestinale-chronique